ELLE

J’entrouve les yeux… Je me sens toute nauséeuse, la tête dans les nuages ! Mais pas ces beaux nuages, vous savez ceux dans lesquels on se trouve lorsqu’on rêve, ceux qu’on voudrait ne pas quitter car on se sent bien… Ces nuages de bonheur du dimanche matin, quand on sait qu’on se réveille à côté de celui qu’on aime, à côté de l’homme de sa vie. Ces petits nuages qui amènent un sourire au bord des lèvres en temps que l’on s’étire et qu’on se dit : une bonne journée en perspective… Il va faire beau et on est ensemble ! Non, là, ce sont des nuages de douleur et de cauchemar car, je ne sais que trop ce qu’on vient de me faire… Je la vois bien cette chambre trop blanche, trop propre, ce lit médicalisé, je les entends ces bruits de chariots dans les couloirs, ces infirmières qui discutent entre elles comme si de rien n’était… Cette odeur typique des hôpitaux ! Je sens bien ces tuyaux dans mon nez, cette perfusion dans mon bras, ces capteurs un peu partout… Tout est bien réel, hélas ! Je n’ai pas perdu la mémoire pendant l’opération, jen’ai perdu que ma langue… 

Je suis encore un peu groggy mais j’ai, malheureusement, toute ma tête. Je me sens nauséeuse mais je ne sais pas si c’est l’opération en elle-même ou le contre coup de ce choc et de toutes ces semaines passées en examens pour que tombe ce putain de diagnostic : cancer !

Il y a plusieurs semaines, le diagnostic s’imposait « cancer de la langue » avait dit le médecin… Après tous les examens habituels, il n’y avait plus qu’une et une seule solution, il allait falloir couper la langue !! On se dit ce n’est pas possible, c’est du délire, ce n’est pas à moi, ni de moi qu’on parle. On se tourne vers son conjoint avec cet air dans les yeux, j’ai bien entendu, tu as entendu la même chose que moi ? Et au vu de son regard aussi étonné que le votre, il faut bien l’admettre, si, si, c’est à toi et de toi que l’on parle… Aucun doute malheureusement ! Tu ne peux pas faire comme si tu n’étais pas concernée, il faut écouter, assimiler, accepter et se laisser faire par des gens qui savent ce qui est le mieux pour toi et qui te conseillent car en fait, ils t’imposent les traitements, les protocoles et toi, tu es pris dans ce tourbillon et tu ne peux plus reculer. Tu es aspirée par la grande roue médicale qui s’est mis en branle et que tu ne peux plus arrêter, c’est trop tard… et c’est toi qui es au milieu de tout ça, prisonnière, impuissante et vedette malgré toi ! Vedette… Oui car tout tourne autour de toi mais tu voudrais tellement être ailleurs, au soleil, sur une île déserte… N’importe où mais loin d’ici… Loin de ces hôpitaux, ces labos, ces radios… de ces odeurs médicales qui te prennent le nez dès que tu franchis le seuil de la porte… Loin de ces blouses blanches, ces gants de vaisselle, ces aiguilles, ces comprimés et ces tables d’opération… Loin de cette paperasse administrative pour qui tu n’es qu’un nom supplémentaire et qu’on range dans un tiroir par ordre alphabétique : celui des cancers de la langue, avec ablation. Loin de cette vérité qui fait mal, celle où tu sais d’avance que ça va mal se terminer même si on tente le tout pour le tout ! Même si personne n’ose le dire et si toi, tu fais tout pour ne pas le penser, et même espérer le contraire. Loin de tout et de tout le monde ! Loin de ceux que ça laisse de glace et à qui ça donne des sujets de discussions ; à tous ces fêlés qui aiment parler de la mort, surtout celles des autres, car elle les fait se sentir encore plus vivants. Vous savez la petite « truc », elle a un cancer de la langue, je n’ai pas trop d’infos mais à mon avis, elle n’en a plus pour longtemps… J’vous le fais pas dire, elle va souffrir ! Mais on lui avait dit d’arrêter de fumer… Mince, les gens sont prévenus maintenant !!! J’avais beau ne pas l’apprécier, c’est moche quand même ! Mais ils s’en fichent et reprennent leur train-train sans plus y penser ! Jusqu’à ce qu’ils voient ton avis de décès dans le journal et qu’ils pensent, ben ça y est, c’est fini… Et ils viendront te rendre un dernier hommage avec une tête de six pieds de long, juste pour voir si la tristesse des autres ressemblent à la leur !

Quand on est avec le médecin, le spécialiste, on pose toutes les questions qui nous viennent à l’esprit. Je ne pourrais plus parler du tout ? Comment faire pour manger ? Aurais-je encore des sensations de goût ? Et puis, finalement, ces questions semblent dérisoires… Vais-je pouvoir vivre tout simplement ? Suis-je condamnée ? On vous dit que non mais vous savez que c’est à court terme… Quelquefois, même à très court terme… On sait bien au fond de soi qu’on est condamné mais on ne sait pas dans combien de temps. Ca dépend de la réussite du traitement et surtout de la gravité du cancer. On va pouvoir vivre encore quelques années mais dans quelles conditions ? A quel prix ? Avec quelles douleurs ? On ne mesure pas… et je me demande si les médecins eux-même le mesurent ! Ils connaissent les protocoles, ce par quoi vous allez passer mais n’ont jamais subi l’intensité des douleurs physiques et psychologiques. Chaque nouveau patient est un nouveau cas et chaque nouveau cas est une nouvelle histoire qui se termine par la mort à plus ou moins brève échéance selon la volonté du patient et le seuil atteint par la maladie à son arrivée à l’hôpital. Dès qu’on passe le seuil des cabinets, on s’embarque pour le noir avec des phases d’espoir et de désespoir, avec des vagues de volonté et d’écroulement… Mais toujours avec la mort en point de mire.

Et chez soi, on se demande comment on en arrivé là. Oh, l’explication est simple, le tabac, ce satané tabac… On commence pour faire comme les copains et on tombe dedans. D’abord, c’est quatre ou cinq cigarettes avec les potes au collège et ça augmente au fur et à mesure des années et du stress. Il a bon dos le stress aujourd’hui et moi, ça me fait de belles jambes ! Ce n’était rien comparé à aujourd’hui ! Ce n’est plus du stress, c’est bien pire que ça et je vais devoir affronter seule, sans substitut, cette épreuve. Je ne trouve pas de mot pour décrire l’horreur qui s’est emparée de moi depuis qu’on m’a annoncé le verdict, c’est plus que de l’angoisse, pire que la terreur ! A 40 ans, plus de langue… Une femme sans langue, ça te dit mon amour ! Tu devais déjà supporter le goût et l’odeur du tabac, surtout lorsqu’il était froid ! Toi, qui ne fumais pas ! Maintenant, tu vas partager ta vie avec une femme muette et qui ne pourra même plus profiter des petites joies gustatives de la vie. Fini, le bon goût des fraises, le bon goût du vin, fini les petits plats relevés, et le plus insupportable de tout, fini les baisers langoureux… Moi, qui adorais t’embrasser, faire passer mon amour et mon désir au travers de mes baisers… Je n’imagine pas faire l’amour sans pouvoir t’embrasser… Quelle angoisse… De toute façon, cela va certainement changer notre vie intime, peut être même que tu ne voudras même plus que je t’approche… C’est bien plus que de la tristesse, ça n’a pas de mot… Je me sens anéantie… Je raisonne comme quelqu’un qui va continuer à avoir une vie intime mais ce n’est pas gagné…  Je n’aurais surement plus envie avec les traitements, la fatigue et tout le reste. Qu’est ce que je crois que je vais vivre normalement… Comme quoi, on a encore des bouffées d’espoir même lorsqu’on est au fond du gouffre. Pourtant, j’en ai vu des gens atteints de cancer, je veux dire de cancer où il n’y a pas d’espoir et leur vie n’était plus une vie ! Je le sais ! Comme on se ment… quand on veut se rassurer ! Comme on est hypocrite avec soi-même ! Comme on a peur d’affronter la vérité ! Comme on a peur du néant ! Qui « on », tu peux dire « je » ! Avec un peu de chance, peut être que cela ne va pas durer longtemps, ce cancer va peut être avoir raison de moi… Qui dit que je vais m’en sortir ? Aucun médecin ne parierait là-dessus !

Je m’étais dit maintes et maintes fois que j’arrêterais… J’arrêterais quand j’aurais des enfants, j’arrêterais quand ma vie serait plus calme, quand professionnellement, j’aurais un boulot stable, moins stressant, moins ceci ou plus cela. Oui, je me suis dit, ça fait longtemps que tu fumes, il va falloir t’arrêter mais je n’ai jamais trouvé le bon prétexte, ni le bon moment… Facilité sur le moment ! Mais aujourd’hui, c’est dingue comme je regrette… Regretter, je trouve le mot faible… La langue (sans jeu de mot) française manque parfois d’intensité dans ses mots et son vocabulaire ! Je trouve trop justes tous ces mots pour décrire ce que je ressens au fond de moi, cette douleur intense aussi bien physique que morale. Je trouve trop justes tous ces mots pour exprimer mon désespoir… Je vais mourir, bientôt peut-être, mais quelle inhumanité ce que je subis  avant ! Je ne peux plus exprimer le moindre désir… Je vais devoir communiquer par écrit ! J’ai peur de ce qui m’attend, j’ai peur, je crève de trouille… Comment partager cette terrible angoisse sans l’évoquer avec des mots, des intonations, des cris, des pleurs… Des pleurs, si, les larmes coulent mais sans bruit, pleines de désespoir… des larmes d’amertume, de colère (contre moi), de dégoût, de tristesse, d’impuissance… Ne me reste plus qu’elles pour vous montrer que je vais mal ! Pas pour vous mettre à ma place, personne ne peut se mettre à ma place… J’ai toujours dit que pour savoir comment réagir à quelque chose, il fallait le vivre… et je ne souhaite à personne de me comprendre aujourd’hui, de savoir exactement ce que l’on ressent, d’avoir immensément mal au fond de soi, au fond de son âme.

Je crois que, peut être, j’aurais préféré ne pas me réveiller après l’opération. Ca aurait été si simple… M’endormir sur la table, malade mais encore entière et sans douleur. C’est surement lâche mais qu’est ce qui m’attend maintenant ? J’ai parlé à tout le monde avant l’opération, j’ai fait le tour des gens pour leur dire l’essentiel… A mes parents, merci de m’avoir élevée comme ça, d’avoir fait de moi l’adulte que je suis, de m’avoir aimée, soignée, aidée… enfin, je leur ai dit tout ce qu’on ne dit pas par pudeur, par honte, par connerie mais qu’on devrait tous dire… A mes enfants, qui sont mes plus grands trésors ! J’ai dit mon amour, ma tendresse, mes espoirs pour eux, pour leur vie future… J’ai dit l’amour d’une mère… J’ai dit l’amour ressenti à leur naissance. J’ai dit mes joies et mes peines, la difficulté d’être mère et la fierté de l’être ! A mes amis, mille merci d’avoir été là quand j’avais besoin d’eux, d’être encore là aujourd’hui et merci s’ils sont encore là demain… Merci de m’avoir aidé à traverser les tracas de la vie et de m’aider à traverser cette difficile épreuve qui m’attend et dont nous ne savons rien ni les uns, ni les autres. Et à toi, mon amour, j’ai dit mon amour… Je t’ai demandé pardon pour tout le mal que je t’ai fait et je t’ai pardonné pour celui que tu m’as fait… On le sait tous les deux, la vie n’est pas un long fleuve tranquille et personne ne peut dire l’avoir traversé sans heurts… Mais je t’aime et je t’ai toujours aimé, ça, il fallait que tu le saches ! A toi, quand j’ai su ce qu’on allait me faire, j’ai donné une dernière nuit d’amour (car je sais que c’était la dernière), pleine et entière, à plein corps, à pleine bouche… Une nuit d’adolescente, pleine de fougue… On a ensuite beaucoup parlé, de nous, de la vie, des enfants… de la mort aussi… car si elle a toujours été présente dans nos vies, elle est désormais omniprésente et on la reconnaît dans chaque geste, dans chaque regard, dans chaque mot… On ne peut plus l’ignorer, elle a pris place dans mon corps… et c’est moi qui vais perdre, elle a gagné d’avance ! Je t’ai donc dit tout mon amour mais il m’a manqué des mots là aussi… J’aurais voulu en inventer avant de faire voeu de silence mais je suis une personne ordinaire, avec une vie ordinaire… Ne sont sortis de ma bouche que des mots ordinaires… Pourtant, tu sais, mon coeur était bavard… Chaque battement cette nuit là était une douleur car je n’allais plus pouvoir m’exprimer et te montrer à quel point tu comptes… à quel point je t’aime… Je me suis blottie contre toi et je t’ai touché, senti, embrassé, aimé et là aussi, j’aurais voulu mourir… Tout était dit… Quelle belle mort ! Mais elle n’a pas frappé à cet instant… J’avais encore des choses à subir et à payer certainement ! Qu’ai-je bien pu faire pour mériter un tel châtiment ? Nous avons fait une dernière l’amour comme un condamné fume sa dernière cigarette, quelle ironie, non ?

Je sais maintenant, que je vais devenir égoïste… Tout va tourner autour de moi, quelques jours, quelques semaines voire quelques mois ! et c’est toi qui va t’occuper de moi… Et je vais l’accepter car je sais qu’il n’y en a plus pour longtemps, que c’est bientôt fini… Et moi, je ne te rendrai pas ce que tu vas me donner car je n’en aurai pas la force, pas le courage, plus l’envie… Parce que j’aurai besoin de toi, parce que j’aurai…, parce que j’ai peur ! Une seule chose me rassure… C’est que je vais mourir avant toi ! Et ça, c’est toujours ce que j’ai voulu au fond de mon coeur car je n’aurais pas supporté de vivre sans toi ! De devoir supporter ton décès, la douleur de ton absence… Par contre, je ne pensais pas que ce serait si tôt et je ne me sens pas prête, j’avais encore des choses à vivre avec toi et les enfants. Je ne voulais pas que ce soit si jeune ! Je me sens encore tellement jeune… J’avais encore tant d’envies, de passions, tant de choses à faire et à finir. J’aurais tellement voulu encore écrire mes poèmes, écrire ce livre qui trotte dans ma tête mais je n’ai pas eu le temps d’écrire parce que trop occupée par le boulot, par les enfants, par la vie tout simplement ou peut être pour être tout à fait honnête par peur et par doute. Parce qu’au fond de moi, je sais que je ne suis pas un écrivain mais juste une amoureuse des mots qui s’essaie à l’écriture et qui en tire simplement un grand bonheur. J’avais encore tellement de voyages à faire, de pays à découvrir, tant de levers et de couchers de soleil à admirer. J’avais tellement d’amour à vous donner… à toi et aux enfants !

Toi, tu es plus fort que moi, tu vas arriver à vivre sans moi ! Il vaut mieux que ce soit dans ce sens là. Une nouvelle larme silencieuse glisse le long de ma joue… La douleur dans ma poitrine est si forte que j’ai l’impression que mon coeur va exploser… Je suis encore en vie et mon coeur a encore de l’amour en lui ! C’est rassurant… Mais pour combien de temps ?

J’ai toujours été trouillarde… c’est peut être pour ça que je me suis infligée un parcours du combattant pareil ! Mais je m’aperçois qu’on a beau être peureuse, on ne maîtrise rien et quand on n’a pas le choix, on n’a pas le choix ! Toi, lorsqu’on parlait maladie, tu me disais toujours, si je deviens un légume, qu’il n’y a plus d’espoir, je ne veux plus vivre… Tu devras faire le nécessaire pour que je m’en aille dignement… et moi, qui ai toujours eu peur de la mort, je te disais, pour moi, on verra bien… Rien ne vaut a vie et on n’en a qu’une… donc ne fais rien, si je ne te dis rien… Cette fois, je te comprends et j’ai envie de mourir, j’ai envie d’en finir car je ne veux pas être une poupée de chiffon sans désir, sans avenir qui souffre et qui t’encombre… Je ne veux pas être un poids ! Je veux rester dans ta tête comme ton amour… Comme quelqu’un de souriant, aimant la vie, mon monde… Aimant bouger et voyager ! Moi, qui ai toujours fait attention à mon poids, je voudrais que tu gardes de moi, le souvenir de la petite bonne femme un peu ronde et non le souvenir d’une femme décharnée, bouffée par la maladie… Trouillarde certes mais vivante ! Je veux que tu te souviennes de mon sourire, de mes yeux pétillants… de cette soif d’amour qui m’envahissait souvent ! De mes rires sonores ! Qui dérangeaient les gens bien pensant… De mes colères et de mes chagrins quand je regardais la société en face… Je veux que tu te souviennes de mon amour, des mots d’amour, moi, qui ne peux plus t’en dire… Moi, qu’on disait bavarde ! Je voudrais que tu gardes de moi une image réelle, celle d’une femme avec des défauts et des qualités, une femme souvent pleine d’incompréhension face à l’injustice, aux mensonges, à la méchanceté gratuite des gens… Je crois que j’étais trop simple pour cette vie, trop fragile, c’est sûr ! Je n’ai jamais compris qu’on fasse des différences entre les gens car nous sommes tous faits pareils et nous aspirons tous à la même chose, le bien être, l’amour… Nous n’aspirons qu’à vivre le mieux possible avant de mourir… Nous avons tous la même destinée. Chacun à son niveau ! C’était peut être utopique… mais sincère !

Je te disais tout à l’heure que tu allais t’occuper de moi mais non, après réflexion, je ne veux pas être ce fardeau, je ne veux pas d’une vie qui n’en ai pas une. Je ne veux pas vivre à moitié… Au ralenti !  En plus, je n’ai pas envie qu’on m’infantilise, qu’on me parle comme à une vieille qui n’aurait plus toute sa tête ! Car j’ai, malheureusement, toute ma tête et même si je dépéris physiquement, je resterai, je crois, hélas lucide jusqu’au bout. Alors, avant qu’on me traite comme ça, je partirai. Je te demande donc aujourd’hui, mon amour, de m’aider à vivre encore quelques jours car j’ai envie de revoir le soleil, se sentir ses rayons sur mon dos… J’ai envie de respirer à pleins poumons l’air frais du printemps qui arrive… de revoir la mer une dernière fois, de toucher le sable… de caresser un chien… de dormir près de toi, tout contre toi… de vous serrer tous les trois contre mon  coeur ! Et puis, quand j’aurai fait ça, tant que je tiens encore debout, tu m’aideras à mourir dignement ! Une dernière larme au bord de mes yeux, triste de vous quitter, triste de partir si tôt… Je te dis merci car je sais que tu vas le faire, toi, qui es courageux… toi, qui m’aimes, toi, qui sauras m’aider et me soutenir jusqu’au bout, tu sauras m’aider à mourir ! Oui, j’ai confiance en toi, tu sauras !

Et, je voudrais mon amour quand je vais mourir, qu’il n’y ait que des gens sincères à mon enterrement ! Quand je dis sincères, ce sont des gens qui m’appréciaient vraiment. Ma famille et encore par toute, celle que je vois, celle avec qui j’ai partagé des choses. Mes vrais amis, ceux que je compte sur les doigts d’une main… qui ont ou auraient été là en cas de pépins. Quelques collègues de travail avec qui, j’ai eu de vraies relations humaines. Je ne veux pas de ces fourbes qui me faisaient des sourires ou des courbettes et qui disaient du mal par derrière… Pas de ceux qui ont dit toout et n’importe quoi sans savoir, juste parce que ça faisait bien de le répéter et d’y croire… Pas de ces marchands de cinéma, pour qui ça fait du bien d’aller à l’enterrement parce qu’on la connaissait, ceux dont je parlais tout à l’heure qui vivent mieux quand les autres meurent… Fais le tri ! Je te dirais bien de ne pas laisser venir ceux que je n’aimais pas mais je ne voudrais pas que tu perdes certains de tes proches ou de tes amis, et d’aucuns risqueraient d’être surpris alors je serai fourbe dans ma mort comme j’ai pu l’être dans ma vie… Pour ne froisser aucune sensibilité et ne pas avoir d’explications à fournir.

Je t’aime, je sais que tu feras au mieux… Brûle-moi et mets-moi dans une petite urne dans le cimetière de notre petit village afin que ceux qui le souhaitent puissent venir se recueillir et/ou me parler de temps en temps. Juste que mon nom demeure quelque part et qu’on sache qu’un jour, j’ai existé… et oui, toujours mon culte de la personnalité, que veux-tu même face à la mort, il y a des travers auxquels on n’échappe pas. Je ne suis qu’humaine, personne n’est parfait ! Et surtout pas moi, loin de là ! De là, à mériter ce qui m’arrive… Je me pose la question, pourquoi moi, pourquoi maintenant ? Mais il n’y a aucune réponse, c’est la fatalité ! Curieux mot dans ma bouche… enfin dans ma tête… FATALITE !!! Je me donne quelques jours pour vous regardez vivre… Pour me rassurer, vous donnez quelques conseils… et tu m’emmèneras en Suisse, tu sais cette institution dont on a vu un reportage à la télé… où l’on part tranquillement comme si on s’endormait ! Tu m’accompagneras et ensemble, comme tout ce qu’on a fait d’important dans notre vie, tu m’aideras à partir dignement loin de toute cette cohue médicale…

Je veux mourir un jour de soleil pour sentir une dernière fois ses rayons sur ma peau, la fenêtre ouverte pour respirer l’air du printemps, ni trop chaud, ni trop frais… Je sais que j’aurai peur… Je te regarderai pour remplir ma tête de ton image et partir rassurée, main dans la main… sentant ta chaleur, dans un dernier bisou, peut être sur la bouche, en espérant que tu ne m’oublies jamais et lire dans tes yeux, une dernière fois ton amour et sûrement ton chagrin. Avoir cette pensée commune dont on avait si souvent parlé, cette promesse que l’on s’est faite depuis si longtemps : je m’en vais et je t’aimerai jusque la fin de ma mort ! Ca, je te le jure.

 

LUI

Depuis quelques temps, tu ne te sentais pas bien… fatiguée ! Enervée… Des douleurs dans la gorge et une toux qui ne voulait pas s’arrêter. Je ne m’inquiétais pas vraiment, les mauvaises nouvelles, c’est pour les autres ! Et puis, à part le fait que tu fumes, nous avions une vie plutôt saine ! Je ne t’ai pas poussée à aller chez le médecin car tu as souvent des douleurs par ci, par là, tu te plains de maux de tête, et chaque fois, ce n’est rien ! Les médecins mettaient tout sur le stress, le fait que tu sois trop émotive, trop angoissée… Mais la douleur devant forte et insupportable, tu t’es finalement décidée ! et moi, je t’ai dit, ça va encore être psychologique, comme d’habitude ! J’étais loin de me douter que tu entrais dans des phases  d’examens qui allaient m’assommer, KO  debout : cancer… cancer de la langue !

Je t’avais déjà dit à maintes reprises de t’arrêter de fumer… Mais à part pendant tes grossesses où tu as eu la volonté et le courage, tu ne t’es jamais décidée ! Je n’ai jamais réussi à t’influencer. Aujourd’hui, je m’en veux de ne pas avoir plus insisté… De ne pas te l’avoir imposé ! Mais on ne peut rien t’imposer à toi ! Tu avais ta réponse toute prête, tu me  la lançais  avec ton sourire charmeur : « oui, un jour quand je serai capable de tout assumer seule, quand j’aurai grandi ! » et je capitulais. Comme j’ai eu tort, comme je m’en veux car tu n’as pas grandi, tu as vieilli ! Tu es passé directement de l’inconscience à l’inconcevable vérité !

Avant ton opération, nous avons beaucoup discuté ou plutôt toi, tu as beaucoup parlé pour compenser le silence qui va s’imposer entre nous dès la fin de celle-ci. Je t’ai écouté me dire tout ton amour, me donner des conseils possibles quant aux enfants, quant à la façon, dont je vais devoir vivre avec toi et peut-être sans toi… mais je ne sais pas si je t’ai bien entendu… J’étais déjà passé dans l’angoisse de l’après… Il va falloir que je sois fort pour deux et même si vous me dites souvent que suis inhumain, un robot, un automate, aujourd’hui, je ne me sens pas si fort que ça ! Je crains de ne pas être à la hauteur, de m’écrouler. Il va me falloir un soutien extérieur, moi, qui me targuais de toujours tout assumer tout seul, je ne crois plus dans ces circonstances en être capable. Je sais que mes frère et soeur seront là… Je vais pouvoir compter sur eux et je sais que je vais avoir besoin d’eux et que je les laisserai faire.

C’est le jour « J » et j’ai attendu, en tournant en rond dans la salle d’attente, fou d’inquiétude et plein de questions sur notre avenir… Comment vas-tu réagir ? et moi ? Vais-je être avec toi comme avant ? Vais-je pouvoir te regarder comme je te regardais hier ? J’ai peur ! Serais-je à la hauteur de tes attentes, et surtout qu’elles seront-elles ?

Bien-sûr, j’ai de la compassion pour toi et de l’amour… Mais en même temps, j’éprouve de la colère contre toi, contre moi, contre la vie qui n’épargne personne… Je suis en colère contre toi qui n’a pas été capable d’arrêter de fumer à temps… Contre moi de ne pas avoir trouvé les bons mots et les bons arguments… En colère contre la vie car tu ne méritais pas une telle souffrance physique et psychologique… La vie ne fait vraiment aucun cadeau !

Notre vie n’a jamais été facile, nous avons eu de grands tourments mais nous avons toujours su nous en sortir.  Comment faire face à un tel merdier, une telle épreuve ? Même avec tout l’amour du monde ! Tu étais mon petit canon,… Ma petite femme et j’étais si fier de sortir à ton bras… Bien-sûr, je ne t’aimais pas uniquement pour ton physique mais c’était important pour moi… Je t’aimais aussi pour ça ! Quel regard vais-je porter sur une femme sans langue ? Aurais-je envie de te faire l’amour ? Et toi, en auras-tu encore envie ? C’est égoïste de ma part de telles pensées, je le sais et je m’en veux… Mais je ne peux les empêcher de me traverser l’esprit.

Et puis, moi, qui ne suis pas très bavard, ça me paralyse de penser que nous n’aurons plus de conversations, qu’il faudra toujours s’écrire pour exprimer la moindre pensée, le moindre soucis du quotidien. Je pense que ça va m’enfermer encore plus dans mes silences, comme lorsque tu me reprochais d’être dans ma bulle. Toi, tu seras dans ta bulle et moi, dans la mienne… contraints et forcés… On partagera des images, des musiques mais dans le silence le plus total… sans aucun échange ? Ca me paraît bizarre quand j’y pense ! Une vie silencieuse ! Sans goût ! Nous, qui avions appris à desguster ensemble des mets appréciables et appréciés. Je serai, désormais, seul à pouvoir encore jouir des ces plaisirs gustatifs. Fini, les petits restos en vacances, en balade ou pour nos anniversaires ! Fini, le sancerre avec le petit fromage de chèvre que tu aimais tellement ou le morceau de camembert avec le beaujolais… fini, fini, fini… Finie la vraie vie ! Débute pour toi une vie de privation, de douleur, de désespoir ! Fini d’entendre en rentrant du boulot ta voix qui chantait les tubes du moment, ceux que tu aimais et que tu reprenais à tut-tête parce que tu adorais chanter… Fini d’entendre les mots d’amour que je trouvais que tu disais trop… Je me rends compte à quel point, j’étais idiot de dire de telles choses ! Oui, je voudrais que tu me les susurres, que tu me les dises, que tu me les chantes, que tu me les hurles… Sur toute la gamme, sur tous les tons ! Tu me les as dit une dernière fois dans un sanglot… et je les ai enregistrés au plus profond de moi et je les garde comme des pierres précieuses, lovés au fond de mon coeur. Nous avons fait l’amour comme jamais, comme j’aimais… Peut-être pour la dernière fois ! car je ne sais pas si je serai capable de recommencer, ni si toi, tu en auras envie ou si tu pourras tout simplement. L’avenir nous le dira, j’ai peu d’espoir !

Puis, ils m’ont dit, vous pouvez entrer dans sa chambre, elle est réveillée. Je ne suis pas venu tout de suite, j’avais encore besoin de te rêver telle que tu étais ce matin en partant pour la salle d’opération. J’avais envie de rester encore un peu avec la femme que j’aimais entière et vivante. J’avais envie de passer encore un moment en ta compagnie comme s’il ne s’était rien passé… Ce n’est pas la lâcheté qui m’a retenue, non ! Mais vraiment le besoin de vivre encore quelques minutes hors du drame,  hors de la maladie car je savais que nous en prenions pour un moment… Enfin, j’espère le plus longtemps possible car je t’aime et je ne veux pas te perdre ! J’ai mal au fond de moi… Mal et envie de hurler ma douleur… Mais je ne vais pas pouvoir, je vais devoir entrer, te sourire pour te rassurer et te parler pour calmer tes angoisses. Il faut que je sois fort ! Encore plus que d’habitude ! Tu as toujours compté sur moi pour tout et là, encore une fois, je ne vais pas t’abandonner, tu vas pouvoir t’appuyer sur moi ! Je vais tenir… Il faut que je tienne !!

Nous avons parlé aux enfants, tenté de leur expliquer… Ils ont compris la gravité du message, la gravité du mot cancer, ils ont compris que leur vie allait être bouleversée mais ils n’ont pas mesuré toute l’ampleur de ce que cela allait impliquer… Même s’ils ont pleuré… Heureusement, ce ne sont que des enfants !

Je prends mon courage à deux mains et je me lance. J’entrouve la porte de la chambre qui pue l’hôpital, cette chambre trop blanche et je te vois, allongée, plus blanche encore que la chambre, avec tes perfusions, les yeux mi-clos mais je sais que tu ne dors pas. Tu as tourné la tête vers moi et pour la première fois dans ton regard, il n’y a aucun éclair, aucun sourire dans tes yeux… Juste de la tristesse, de la peur, beaucoup de questions ! Je m’approche, je t’embrasse sur le front doucement comme si un simple baiser pouvait te casser en mille morceaux, et finalement, je me lâchen je te serre très fort dans mes bras et je pleure… sans bruit… mais je n’ai pas réussi à retenir mes larmes, elles sont arrivées sans que je ne maîtrise rien… Tu vois, je ne suis pas si fort que vous le pensiez… et je déteste te voir dans cet état ! Mes larmes ont amené leurs soeurs sur tes joues… Nous pleurons comme deux gamins, des pleurs silencieux et tellement lourds ! De grosses larmes chaudes qui coulent sans que j’arrive à les arrêter. Je prends ta main et je ne dis rien… Pas besoin, nous nous comprenons !

Je te regarde… Que tu es pâle ! Comme la maladie t’a déjà transformée… et ce n’est que le début ! A quoi vas-tu ressembler, toi que je trouvais si mignonne, que j’appelais ma petite fleur ! Tu as déjà perdu un peu de poids depuis qu’on nous l’a annoncé ! Tu as encore tes petites joues mais pour combien de temps ? Tes yeux ont déjà perdu de leur vigueur et de leur éclat, je sais déjà que le reste suivra.

L’odeur de la chambre m’incommode, ça pue la mort ! J’aurais envie de sortir courir un marathon et je reste, là, assis à côté de toi toujours sans un mot. Que te dirais-je d’ailleurs, un « ça va ? » ; ça n’a pas de sens, je sais que ça ne va pas, je sais que tu as peur, je sais que tu regrettes de na pas avoir su arrêter cette foutue cigarette… Je sais comme tu dois être mal même si là, tu n’as pas l’air de souffrir physiquement, tu as une perfusion qui doit être un puissant analgésique, je sais à quel point, tu souffres par contre, moralement. On dirait que tu t’es assoupie mais je ne suis pas sûr… Peut-être, es-tu dans tes pensées et que tu préfères garder les yeux fermés pour ne pas que je vois ta tristesse et ta peur… Pour ne pas m’affoler plus ! Les larmes se sont arrêtées d’elles-mêmes comme elles étaient venues… Mais j’ai le coeur lourd ! Il ne faudrait pas grand-chose pour que je craque à nouveau… Peut être que c’est pour ça aussi que tu gardent tes yeux fermés pour que nos regards ne se croisent plus et qu’on ne pleure plus. Le silence dans la chambre est pesant… J’ai chaud et je n’ose pas ouvrir la fenêtre de peur que tu aies froid !

Les enfants sont chez leurs grands-parents, ils ne viendront pas te voir à l’hôpital, je préfère leur éviter ça… Je n’ai pas envie qu’il garde ça dans leur mémoire ! Ils voulaient venir bien-sûr mais pourquoi les perturber plus encore qu’ils ne le sont déjà, s’ils t’avaient vu livide dans ce lit avec tes perfusions et tes drains… J’ai bien fait, j’en suis convaincu ! Ils vont déjà être choqués lorsqu’ils te verront lors de ton retour si apathique, toi, qui a toujours été si vive. Ils ne vont pas te reconnaître ! Que vont-ils penser que tu ne puisses plus leur parler, que tu ne puisses plus chanter, toi qui chantais dès que tu mettais un de tes CD dans la maison, dans la voiture. Et toi, qui étais si gaie, que vont-ils penser de te voir si triste ? Il faudra que je sois là, que j’explique… Faudra t-il tout leur dire ? Sont-il en mesure de tout entendre, de tout saisir, de tout ingérer et surtout de tout digérer ? Ca m’étonnerait, il va falloir que je sois très psychologue, très diplomate et très gentil… Ce n’est pas gagné d’avance !! Il va falloir vivre différemment et composer avec eux bien plus que je ne l’ai fait jusqu’à maintenant.

Nous allons vivre ensemble cette épreuve mais je sais déjà que nos routes sont désormais parallèles, nous, avec notre vie au quotidien et la tienne avec la maladie et tout ce qui gravite autour : les soins, les médicaments, la chimio, la douleur, les angoisses, que sais-je encore ? Bien-sûr, je serai avec toi le plus possible mais je ne pourrai pas être là 24 h/24. Il faudra bien continuer à travailler, s’occuper des enfants et de la maison, avoir un semblant de vie. La maladie nous a séparé et nous séparera de plus en plus ! J’en ai bien conscience et c’est difficile à admettre et à accepter. Il faudra que je sois à la hauteur. Je ne sais pas encore ce que ça implique vraiment mais y arriverais-je ? Arriverais-je à avoir la patience nécessaire, le temps pour tout faire et tout gérer ! Je ne suis pas anxieux d’habitude mais là, ça me semble insurmontable… Peut-être qu’il faudrait que je prenne une année sabbatique ? Je vais en discuter avec toi et évaluer si c’est possible financièrement. Je ne sais plus ! Je me sens tellement perdu, si seul… Ce n’est pas facile pour moi non plus, tu sais ?,Mais malgré tout, je préfère être à ma place qu’à la tienne. Je me demande comment tu vas faire pour affronter tout ça, toi qui es si peureuse et qui t’angoisse pour un oui, pour un non. Il paraît qu’on devient plus fort dans ce genre de situation mais toi, petit bout de femme, vas-tu pouvoir te surpasser ? Aller plus loin ? Lutter ? Vas-tu pouvoir faire face à la douleur ? Ne vas-tu pas sombrer rapidement dans les méandres de toute cette médecine et te laisser emporter plus tôt que prévu ?

Je sais que tu as peur de la mort, nous avons souvent abordé le sujet de l’euthanasie tous les deux et je sais que tu ne me demanderas jamais de t’aider à mourir. Tu m’as toujours dit que tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ! Tu étais contre le fait que moi, je ne veuille jamais devenir un légume et tu trouvais dur que je puisse te demander de m’aider à mourir si besoin, tu disais que tu n’aurais pas la force de m’assister et d’assister à ça… Que tu m’aimais trop ! Que ce serait insurmontable ! Aujourd’hui, tu vois, je te comprends ! Je n’ai pas envie que tu me le demandes. Je veux t’aider à vivre, à te soigner et sûrement pas à mourir… Tu avais encore une fois raison. On ne sait pas comment on va réagir face à une situation donnée tant qu’on n’est pas confronté à cette situation… Combien de fois, tu me l’as dit, quand tu entendais des gens dire, moi, à sa place, j’aurais fait ça ou ci… Ca te mettait en colère… Mais vous n’êtes pas à sa place, vous ne savez pas ce qu’elle a vécu et le pourquoi de son choix. Vous n’avez pas la même histoire, vous ne savez rien de ce qui la fait réagir comme ça, vous ne ressentez pas les mêmes émotions. Oui, tu avais raison, dans la théorie, c’est facile à dire, je te conseille l’euthanasie, tu souffres, et de toute façon, ce n’est qu’une question de temps. Mais là, je veux que tu vives, que tu te battes, je veux qu’on vive encore ensemble, je veux pouvoir encore t’aimer et te le dire. J’ai besoin de toi. Il faudra que je te le dise, je ne te l’ai pas assez dit… Erreur d’homme trop fier et trop con ! Je m’angoisse à l’idée que tu veuilles mourir. J’ai eu tellement d’arguments pour ! Mais non, c’est impossible, tu n’es pas assez courageuse… Remarque, c’est peut être ce qui va te pousser à le vouloir car il en faut du courage pour aller se soigner et lutter contre cette merde !

Je m’imagine mal t’emmener en Suisse dans un établissement comme celui qu’on avait vu à la télé, sachant que je t’accompagne vers la mort et sachant que je ne te reverrai plus jamais et que je rentrerai seul ! Qu’ensuite, j’affronterai la vie, seul avec les enfants, sans ton regard, sans ton sourire, sans ta présence. Il faudrait ne rien montrer alors que je serais mort de trouille face à ma propre réaction et face à la tienne. Il faudrait être fort, alors que j’aurais envie de m’écrouler et de te garder serrer tout contre moi ! Il faudrait ne pas pleurer en tout cas pas jusqu’au dernier moment… Il faudrait que je me dises : « c’est mieux ainsi, elle souffre trop et de toute façon, si ce n’est pas aujourd’hui, ce sera peut-être demain ou après-demain mais ce sera ! Il vaut mieux que ce soit dans de bonnes conditions et dans un lieu où tout est prévu pour que tout se passe au mieux ». Oui, il faudrait se dire ça ! Mais là, je ne m’en sens pas capable. Il faudra que je reste près de toi, que je te tienne la main, que je t’embrasse une dernière fois sachant que c’est la dernière fois. Non, c’est impensable… Heureusement, je sais que tu ne me le demanderas pas. Heureusement, je sais que tu es contre, tu n’es pas pour, pas pour toi ! Merci… C’est un soulagement. Bien-sûr, si tu l’exigeais, je ne pourrais pas te contrarier et je te soutiendrais jusqu’au bout mais je ressortirai comment de cette épreuve ? En loque, desoeuvré… Car tu es une sentimentale et tu voudras que ce soit intense jusqu’au bout et je sais que je lirai la détresse, l’angoisse, l’amour dans tes yeux. Je lirai dans tes yeux, une dernière quête d’amour… des sentiments sincères et profonds ! Je sais que je te dirai avec de la peine plein les yeux , avant que mon monde ne s’écroule et que je reparte la mort dans l’âme : « je t’aime mon amour et je t’aimerai jusque la fin de ma mort ».

 

EPILOGUE

Après son hospitalisation, elle est rentrée à la maison. Elle a essayé de faire auprès des enfants comme si de rien n’était mais ça n’a plus jamais été comme avant, elle se sentait vite épuisée. Elle les a pris le plus souvent contre elle pour de longs et tendres câlins, leur montrant à quel point elle pouvait les aimer. Elle aimait sentir leur chaleur, la douceur de leur peau. Elle prenait tout ça comme un cadeau et comme si elle allait pouvoir emporter ces moments de tendresse, ces images avec elle. Elle savait pourtant, que ça n’était pas possible. Pour elle, il n’existait pas de vie après la mort mais malgré tout, elle vivait ces instants de douceur comme si c’était envisageable. Les enfants, avaient pris comme un jeu de parler à maman en, eux aussi, se servant de l’ardoise magique pour communiquer. Enfin, c’est ce qu’ils avaient laissé croire car ils n’étaient pas dupes et chacun savait bien que la situation était dramatique. Mais intelligemment, ils avaient préféré se donner l’illusion d’un jeu plutôt que de rajouter du plomb dans cette ambiance déjà trop pesante pour tout le monde.

Au début, elle a passé beaucoup de temps à regarder autour d’elle, comme si elle découvrait tout ce qui l’entourait, à marcher dans son jardin doucement, à son rythme pour ne pas trop se fatiguer et profiter du jardin qui renaissait. Tout lui semblait joli et ça la rendait triste… Elle n’allait plus en profiter longtemps.

Elle n’avait pas encore parlé à son  mari de son projet d’en finir avec la vie mais elle le ferait bientôt. Elle s’était donnée jusqu’à l’automne pour revivre un printemps, un été et le début de l’automne, une saison qu’elle adorait pour ses couleurs et ses odeurs. Mais là, l’odeur, il n’y aurait plus ! Elle espérait résister jusque là, elle n’était pas sûre que cela soit possible. Quoiqu’il en soit, elle demanderait à son mari de l’accompagner en Suisse.

Elle avait reculé l’échéance qu’elle s’était donné à l’hôpital, mourir au printemps, ne lui avait finalement paru une bonne idée, on ne meurt pas quant tout renaît et tant qu’elle se sentait encore capable de tenir debout, elle lutterait… pour profiter encore un peu de ses enfants et de son mari, des plaisirs simples qui lui restaient… Tant qu’elle ne souffrirait pas trop ou tant qu’elle supporterait de souffrir… Et puis, si l’automne lui semblait trop loin, il serait toujours temps de revoir ses projets à la baisse et de partir plus tôt !

Tant qu’elle le pouvait encore, elle écrivait encore des poèmes qu’elle trouvait de plus en plus beaux mais aussi de plus en plus sombres. C’était un vrai bonheur pour elle de pouvoir écrire. Elle se disait qu’elle laisserait quelque chose aux siens, un petit morceau de son âme. Car estimait-t-elle, lorsqu’on écrit des poèmes, on va chercher les mots les sentiments décrits au plus profond de soi, quelquefois même, au point de se surprendre soi-même et de se découvrir.

Son mari était gentil et prévenant. Il lui avait parlé de prendre un congé sabbatique pour rester à s’occuper d’elle mais elle avait refusé. Ce n’était pas sain pour lui, il fallait qu’il décompresse et le fait de travailler, des rencontrer des collègues le faisait penser à autre chose qu’à elle et à la maladie.

Cependant, il avait pris des vacances et l’avait emmenée au tout début du mois de juin, faire une croisière d’une semaine. Il savait que c’était un de ses rêves depuis longtemps et le projet n’avait encore jamais abouti faute de moyens, faute surtout de prendre le temps. Mais là, il avait fait le nécessaire pour qu’ils partent tous les deux. Durant ce séjour, fatiguant pour elle, elle était beaucoup restée allongée sur le pont pour profiter du paysage et de la mer dont elle avait toujours été amoureuse. La mer, qui l’attirait comme un aimant et dont elle avait besoin régulièrement pour se sentir vivre. Ca la revigorait toujours lorsqu’elle voyait la mer, lorsqu’à pleins poumons, elle respirait l’iode. Mais cette fois, la mer l’avait rendu nostalgique car elle savait que c’était la dernière fois qu’elle la voyait. Bien-sûr, elle avait essayé que ça ne se voit pas, il avait voulu lui faire plaisir et elle voulait qu’il sente qu’il avait réussi son coup, malgré tout… Il avait réussi à réaliser encore un de ses rêves… Quel beau cadeau ! Mais quand il n’était pas à ses côtés, elle ne pouvait s’empêcher de laisser s’échapper quelques larmes. Chacun d’eux savait qu’ils jouaient la comédie mais chacun faisiat semblant de rien car tout deux étaient convaincus que c’était l’intention qui compte. L’intention était là. Elle comptait pour tous les deux. Chacun donnait à l’autre un dernier cadeau d’amour et chacun mesurait combien c’était important.

Au début de l’été, on avait fait appel à une auxiliaire de vie qui l’aidait dans tous les domaines du quotidien. Puis l’été était passé… Elle passait par des phases où elle se sentait mieux et des phases de fatigues intenses où elle ne pouvait même plus se lever. Elle n’avait plus la force d’écrire. Plus la force de rien. Peut -être qu’elle ne verrait finalement pas l’automne et qu’elle allait mourir chez elle. Elle l’espérait inconsciemment. Elle trouvait que ce serait dur d’infliger à son mari son choix d’euthanasie même si elle savait qu’il était plutôt pour… A t-on les mêmes réactions lorsqu’on est touché de plein fouet ? Il fallait qu’elle lui dise, elle n’avait pas encore eu le courage. Elle se promettait chaque jour, demain, je lui parlerai. Mais plusieurs semaines étaient encore passées avant qu’elle se jette à l’eau.

Un soir, alors qu’il rentrait du boulot, qu’ils étaient seuls, elle s’était lancée. Les enfants étaient partis chez leurs grands-parents pour souffler un peu. Pour eux aussi, c’était difficile à supporter de voir maman de plus en plus défigurée, n’ayant plus de visage humain. Elle avait beaucoup maigri et elle faisait beaucoup plus vieille désormais. Régulièrement, ils prenaient donc une pause pour s’éloigner de tout ça, pour oublier un instant, enfin essayer d’oublier, essayer de faire comme s’il n’y avait rien de grave à la maison. Et même, s’ils n’y parvenaient pas vraiment, ce break leur faisait du bien. Ce soir là, donc, elle n’était pas trop fatiguée… enfin moins que d’autres… Elle s’était sentie vaillante et s’était lancée à lui en parler. Il n’avait pas répondu… Figé, comme si elle l’avait giflé… Il l’avait regardé avec des yeux pleins de tristesse, une boule dans la gorge. Il lui avait demandé si elle était certaine, si elle avait bien réfléchi, il lui a dit qu’il ne voulait pas mais qu’il comprenait, qu’il ferait ce qu’il faut, qu’il était surpris qu’elle ait changé d’avis mais au fond de lui-même il n’était pas si étonné que ça… Il voyait bien combien c’était difficile de vivre de cette façon. D’ailleurs, était-ce encore une vie ? Plus le temps passait moins elle arrivait à se concentrer sur quoi que ce soit et plus rien ne l’intéressait à part lui et les enfants mais on sentait que c’était au prix de nombreux efforts. Elle dormait de plus en plus et si elle n’avait pas eu la morphine, elle souffrirait le martyr. Elle n’arrivait plus à rester simplement assise. Ces derniers temps, elle était passé de lit au fauteuil, puis du lit au lit comme aurait dit un certain Monsieur Jacques Brel. Il souffrait de la voir dans cet état… d’autant qu’il se disait qu’elle en était tout à fait consciente.

Il fut donc décidé qu’au début de l’automne, elle irait en Suisse et qu’il l’accompagnerait. Il prit toutes les dispositions. Le voyage se ferait en train car lui se voyait mal devoir conduire pour revenir. Et il ne voulait pas revenir en taxi ambulance sachant qu’il aurait besoin d’être seul et ne sachant surtout pas dans quel état, il se trouverait.

Ce fut son dernier effort… Prendre le train… en fauteuil roulant naturellement. Elle regardait le paysage plein de rouges, d’ocres, orangés… et se laisser bercer par le roulement du train. Elle réussit même à s’endormir alors qu’elle s’était dite qu’elle lutterait de toutes ses forces pour vivre pleinement sa dernière journée, son dernier voyage. S’endormir, il fallait que la morphine n’endorme pas que la douleur, elle endormait aussi la crainte.

Elle a aussi beaucoup regardé durant ce voyage, ce visage qui l’avait tant séduite, elle l’avait trouvé fatigué naturellement mais il lui plaisait toujours autant. Elle le lui a dit. Il a réussi à sourire mais on voyait bien que le coeur n’y était pas ! Elle le sentait crispé, stressé. Il l’a serré fort contre lui, lui caressant la tête, respirant ses cheveux, son parfum. Il a eu envie de lui faire l’amour, là, à cet instant, instinct de survie certainement, mais n’a rien dit honteux. Il garderait ça pour lui ! Il pensait que cela valait mieux.

Là-bas, tout était prêt. Bien rôdé. Ils étaient attendus. Ils ne sont pas montés tout de suite dans la chambre, elle ne voulait pas la voir avant le dernier moment. Elle ne voulait pas y penser avant. Ils se sont promenés dans le parc de l’établissement, elle, en fauteuil roulant, en silence, chacun dans ses pensées, n’essayant de penser qu’au moment présent, de le vivre pleinement, profondément. Essayant de profiter uniquement de l’endroit, si beau en cette saison et de la présence de l’un et de l’autre. Essayant d’oublier ce qui les attendait. Il n’a pas beaucoup parlé. Il n’est naturellement pas bavard, et surtout, il avait peur d’être maladroit, de ne pas dire ce qu’elle attendait ou de mal s’exprimer. il ne voulait pas regretter une parole malheureuse. Ils se sont contentés d’échanger des silences qui en disaient plus longs que bien des discours.

Puis en fin de journée, ils sont rentrés et tout deux savaient que c’était presque fini. Ils se sont regardés, les yeux embués de larmes, ils se sont serrés une dernière fois, intensément. Leurs corps leur rappelant leurs anciennes étreintes, débordant d’amour, étouffant sous la peine. Il l’a embrassé sur le front avec beaucoup de tendresse, un baiser marqué, appuyé, qui en disait long ! Pas sur la bouche comme elle l’aurait souhaité, elle a eu le temps d’y penser mais pas celui de lui en vouloir. On lui avait administré par perfusion les médicaments, elle s’est allongée. Ils se tenaient la main, leurs regards ne se quittant pas, et pendant qu’elle s’endormait tranquillement, elle pensait : je t’aimerai jusqu’à la fin de ma mort et lui, tout doucement, dans un murmure lui a dit, mon amour, ma petite fleur, ma petite femme, je t’aimerai jusqu’à la fin de ma mort ! Elle s’est endormie sur ces mots, calme, sans souffrance, apaisée. En tout cas, apparemment. Et là, seulement, il a pleuré toutes les larmes de son corps, le libérant du noeud dans la gorge qu’il avait lui aussi, à moindre mesure, supporté durant ces mois difficiles.

Echange

5 commentaires

Oh punaise, c’est trop triste, je suis en larmes…comment as-tu pu écrire ce texte?

Je ne sais pas… C’est venu comme ça ! J’avoue que c’est triste et qu’on pleure en le lisant mais quelque part c’est que j’ai réussi à atteindre les émotions du lecteur et c’était mon but ! Je devrais peut être prévenir que ce texte n’est pas à lire en cas de déprime… Genre à ne lire que quand le moral est au beau fixe !

un admirateur depuis toujours

Laisse la tristesse aux autres, la vie est trop courte.
Garde le bon et laisse de côté le reste.

Je n’ai pris la tristesse de personne. Ce texte est une pure fiction ! J’avais juste envie d’écrire sur les dégâts provoqués par la cigarette et sur le droit de mourir dignement, sur fond d’une belle histoire d’Amour comme on aimerait en vivre ! Je suis contente qu’il y ait des réactions émotionnelles, c’était le but !!!

Un admirateur (depuis le début de ce blog)

Incroyable !
J’ai pleuré moi aussi.
Emma, tu as le don de toucher les gens.
Si tu arrives à remplacer la tristesse par des sentiments d’amour, tu pourrais ressembler à Mary Higgins Clark
Merci Emma

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